un texte de Didier Pobel sur son blog
à propos de mon expo "le sentier d'Ophélie"
à propos de mon expo "le sentier d'Ophélie"
Qu'on ne se méprenne pas, cette enseigne,
située pas très loin de la gare de Grenoble, n'est pas inspirée
du chef-d'œuvre de Giono. Non pas Colline mais Col'inn.
Il doit bien y avoir une explication à cette elliptique
appellation, mais peu importe. De quoi s'agit-il? D'un espace
de "coworking". Même les moins familiers de la langue
de Shakespeare auront grosso modo compris qu'on désigne
ainsi une plateforme de travail partagé, un endroit où
l'on peut louer un bureau pour un temps déterminé. Bref, nullement,
à première vue, un lieu propice à des expositions.
Mais méfions-nous des idées reçues. Depuis
son ouverture, "Col'inn" (1) prête
très régulièrement ses murs à des artistes. Pierre Gaudu est
presque un habitué et c'est cette fois-ci son "Sentier
d'Ophélie" qu'il nous propose de suivre. L'invitation
est d'abord géographique. Il faut, au moins par l'imagination, se
hisser un peu plus haut. Dans le Vercors. Au bord d'un impétueux
torrent nommé le Bruyant que notre
marcheur contemplatif a découvert en 2002. Et cent fois
visité depuis. "Quatorze ans plus tard [il] reste l'un de
mes rendez-vous préférés. C'est le lieu le plus proche de mes
pensées mélancoliques, traversées de soudaines et riantes percées
lumineuses", confie-t-il dans le propos liminaire
du catalogue (2).
Impossible d'en douter en découvrant les
photos que celui qui est aussi un dessinateur et peintre
talentueux - l'exposition en atteste également - en a
rapportées. Des images sauvées in extremis du péril de
l'ombre. Des instants arrachés à l'éphémère qui bouillonne
sur les trop lisses pierres millénaires. Ici une
branche retient le jour comme un secret. Là une rose flotte
dans les tourments d'un fugitif sanctuaire d'écume. Ailleurs, une
infime libellule capte toute la fragilité d'une passion
ailée. Quand elle ne mêle pas sa salive aux éléments, la
rivière peut receler des reflets verts de prairie
d'enfance ou des tourments fiévreux de peau sous la
caresse. Rarement, se dit-on, l'expression "l'eau à
la bouche" aura aussi bien trouvé son sens.
On en oublierait presque la référence à Ophélie.
D'ailleurs, qui est-elle exactement cette représentation
on imaginaire dans les photos de Gaudu? La noyée
shakespearienne en qui se mire la folie d'Hamlet? Le "grand
lys" du poème de Rimbaud "glissant sur l'onde
calme et noire où dorment les étoiles"? Ou la
vaporeuse gisante du peintre britannique John Everett
Millais reproduite, cheveux épars et yeux ouverts, sur la
couverture d'un vieux volume du Lagarde et Michard? Tout cela à
la fois, à l'évidence. À moins qu'Ophélie, fascinante
incarnation du bruyant silence des émois, ne soit
avant tout, pour Pierre Gaudu, qui ne cesse de converser avec sa
propre solitude peuplée de rêves liquides, la fantasque figure
aimée flottant à la surface du temps sans jamais couler tout à
fait.
Didier POBEL
_______
1) "Le sentier d'Ophélie",
22 photos inédites de Pierre Gaudu, peintures &
dessins, jusqu'au 18 décembre à l'espace Col'inn 34, avenue
Félix-Viallet, 38000 Grenoble (09 80 81 36 99).
2) Pour se procurer le catalogue, on peut contacter
l'artiste à cette adresse : pierre-gaudu@orange.fr
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